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L'ÉTONNANTE POSTÉRITÉ
DE PLATON
EN THÉORIE DE L'ART
à propos de :
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Idea.
Contribution à l'histoire du concept
de l'ancienne théorie de l'art.
de Erwin PANOFSKY
(Traduit de l'allemand par Henri Joly ;
préface de Jean Molino)
Éditions Gallimard (Tel), 1989.
Titre original : Idea (1924).
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L'hostilité
de PLATON à l'égard des artistes est bien connue. Jugeant
l'art à l'aune de sa théorie de la connaissance qui consiste
à rechercher l'Idée immuable au-delà de l'apparence
sensible, Platon ne pouvait apprécier une activité qui nous
ramène justement à ce monde sensible. Au mieux, l'artiste
ne peut, à ses yeux, que redoubler inutilement le monde sensible
qui n'est qu'une imitation des Idées ; au pire, il
engendre d'incertaines et trompeuses apparences qui augmentent la confusion
dans notre esprit. Ce qui explique que pour Platon ce n'est pas l'artiste
mais le dialecticien qui a pour mission de dévoiler le monde des
Idées. Certes, il ne faut pas exagérer cette condamnation
de l'art par Platon. Il n'empêche que sa philosophie, à défaut
d'être une ennemie déclarée de l'art, est une philosophie
étrangère à l'art.
Pourtant, sa théorie
des Idées va jouer un rôle fondamental dans l'esthétique
des arts plastiques. Par un renversement de son sens, mais en constante
référence à Platon, l'Idée en viendra à
résider dans l'esprit de l'homme, et il sera alors naturel de la
voir se dévoiler de préférence dans l'activité
de l'artiste. Ce sont les différentes étapes de cette transformation,
de Platon au dix-septième siècle, que nous invite à
parcourir Erwin PANOFSKY dans ce livre d'une très grande richesse
documentaire.
Le renversement
de la théorie platonicienne commence très tôt. Pour
CICÉRON, qui pourtant s'y réfère explicitement, l'artiste
ne cherche pas à imiter le monde sensible, mais essaye de dévoiler
à travers ses oeuvres le modèle parfait de la beauté
qui réside dans son esprit. Il a fallu, pour que cette revalorisation
de l'art soit possible, d'une part que l'Idée platonicienne descende
de son lieu supra-céleste. Puis, d'autre part, sous l'influence
d'Aristote pour qui les formes des objets d'art résidaient dans
l'esprit de l'homme avant de venir informer la matière, il a fallu
que l'Idée en vienne à s'identifier avec la représentation
de l'artiste. Mais l'Idée cicéronienne garde de l'Idée
platonicienne l'absolue perfection qui permet à l'artiste de rivaliser
avec la nature, d'en corriger les imperfections, et donc de la surpasser.
Or, cette conception
n'explique pas comment une représentation dans l'esprit de l'artiste
peut prétendre à cette absolue perfection. Deux alternatives
verront alors le jour pour tenter de résoudre ce problème.
Celle de SÉNEQUE, qui ôte toute perfection à l'Idée
de l'artiste. Puis, celle du néoplatonisme, qui confère à
l'Idée une légitimité métaphysique. Ainsi,
pour PLOTIN, l'artiste est capable, par une intuition intellectuelle, de
saisir la beauté suprême, et de l'insuffler dans la matière
pour en faire une oeuvre d'art. Néanmoins, cette matière
représente chez Plotin le mal absolu. C'est pourquoi, paradoxalement,
si l'oeuvre d'art permet bien d'ouvrir une perspective sur le monde des
Idées, elle nous en détourne aussi en étant ancrée
dans une matière rebelle à tout principe intelligible. Il
en résulte que cette réévaluation métaphysique
de l'art conduit finalement à une nouvelle condamnation puisqu'elle
prive l'art de toute autonomie propre en situant la beauté au-delà
du monde sensible.
La théorie
médiévale de l'art s'inscrit dans la sillage du néoplatonisme
à ceci près que les Idées deviennent des contenus
de la conscience divine. L'artiste était, certes, comparé
avec l'intellect divin qui crée le monde à partir des Idées
qui lui sont intérieures, mais cette comparaison servait plutôt
à faire comprendre la création divine qu'à mettre
l'art à l'honneur. Les réflexions sur l'art ne sont en effet
dans la scolastique médiévale que des auxiliaires du raisonnement
théologique. Si l'artiste opère bien à partir d'une
représentation intérieure, l'oeuvre d'art ne peut néanmoins
faire de l'ombre au désir de connaître Dieu qui de toute façon
est le seul à pouvoir véritablement créer.
Avec la Renaissance
s'opère de nouveau un tournant dans la théorie de l'art.
Par delà le néoplatonisme et la pensée médiévale,
la Renaissance renoue avec l'idée que l'oeuvre d'art doit être
une reproduction fidèle de la réalité. L'artiste doit
alors se faire homme de science pour connaître la nature dans sa
vérité et pour en donner la représentation la plus
exacte. L'Idée ne préexiste plus à l'expérience
et n'existe plus a priori dans l'esprit de l'artiste, mais se présente
au contraire comme un produit de la connaissance de la réalité
sensible. Parallèlement à cette idée d'imitation de
la nature, l'art se fixe aussi pour tâche de corriger et de perfectionner
cette nature. Mais tout comme l'Antiquité, la Renaissance ne voit
pas de contradiction entre ce principe d'imitation et celui de perfectionnement.
Cela s'inscrit néanmoins dans une nouvelle vision du monde qui pose
l'existence d'une nature extérieure, stable et bien définie,
en face d'un sujet conscient de son autonomie et qui cherche dans les lois
prédéfinies de l'harmonie les règles de l'art. En
renonçant ainsi à une interprétation métaphysique
de la beauté, la Renaissance distendait les liens entre le "beau"
et le "bien", et préfigurait l'autonomie qu'acquerra trois siècles
plus tard l'esthétique.
Mais il faudra auparavant
passer par le "Maniérisme" qui rompra avec l'idée d'harmonie
et qui fera apparaître une tension entre l'esprit et la nature. Seront
ainsi remises en cause la rigidité des règles et la théorie
des proportions imposées à l'art, au profit d'une plus grande
expressivité. C'est que désormais la contradiction pleinement
vécue entre imitation et amélioration détachera l'Idée
de la réalité sensible. Conscients qu'elle ne peut être
issue de la seule nature, ni recevoir de l'homme son unique origine, les
théoriciens maniéristes en viendront à poser la question
relative à la possibilité de toute création artistique.
La théorie de l'art développera alors toute une spéculation
philosophique et verra dans l'Idée une étincelle divine censée
permettre à l'homme de produire en lui les formes spirituelles des
choses et de les transférer dans la matière par un mouvement
analogue à celui de la création divine. Si les théoriciens
de la Renaissance, en raison de leur admiration pour la nature, avaient
traité l'art et le beau comme des notions empiriques, le Maniérisme
redonnera à ces deux notions leur caractère d'a priori
métaphysique que l'homme peut saisir grâce à l'intervention
directe de Dieu.
Rejetant les artifices
du Maniérisme qui n'accordait pas assez d'importance à l'intuition
sensible et le naturalisme de la Renaissance qui rendait au contraire difficilement
concevable toute amélioration de la nature par l'art, le Néoclassicisme
affirmera une volonté d'opérer de manière équilibrée.
Si l'artiste doit bien avoir une représentation des Idées
afin de corriger les réalités terrestres qui ne sont que
des copies déformées de ces même Idées, il ne
peut pas les trouver en lui avant toute intuition sensible. Il faut donc
que les Idées soient des représentations parfaites des choses,
mais qu'elles trouvent leur origine dans l'intuition qu'a l'artiste de
la nature. Bref, il faut que l'Idée se transforme en Idéal.
Cette dernière
métamorphose de l'Idée que nous relate Panofsky, ainsi que
toutes celles qui ont précédé, reflète bien
la grande postérité de la théorie platonicienne des
Idées, et la non moins grande déformation qu'elle a subie.
Comme ce livre nous le montre, il est donc possible d'écrire une
histoire raisonnée de la théorie de l'art de l'Antiquité
classique au dix-septième siècle. Mais l'intérêt
de l'ouvrage ne s'arrête pas là : les exemples,
citations et références font de ce livre une véritable
mine d'information sur les théories de l'art qui se sont succédées.
Thomas LEPELTIER,
le 24 juin 1998.
Renseignements divers sur le livre :
Index des noms propres
286 pages
ISBN 2-07-071529-9
65 FF (1998)