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de
Thomas Lepeltier

  L'HISTOIRE  DES  ORIGINES
DE  LA  RÉVOLUTION  FRANçAISE
 
 
 
à propos de :
Des origines de
la Révolution française.
   
par William DOYLE
 
Traduit de l'anglais par Béatrice Vierne
Calmann-Lévy (Liberté de l'esprit), 1988.
 
Édition originale : 1980, 1988 (2nd éd.).

       Quelles furent les causes de la Révolution française ? Voilà une question qui resta longtemps un sujet de controverse. On vit toutefois, un peu avant le milieu du XXe siècle, s'établir un large consensus qui prit valeur de dogme. Les spécialistes français qui faisaient autorité en la matière s'inscrivaient dans un courant de pensée marxiste et donnaient donc beaucoup d'importance à la notion de lutte des classes. Ils affirmaient ainsi que le développement du capitalisme dans la société française avait provoqué l'affaiblissement d'une aristocratie féodale arc-boutée sur ses privilèges et incapable de rivaliser avec une bourgeoisie montante ; la pensée des Lumières ne faisant que traduire, sur le plan des idées, ces transformations économiques et sociales. 
       Pourtant, à partir des années cinquante, des historiens anglo-saxons commencèrent à déconstruire cette thèse, à commencer par l'idée que la bourgeoisie, à la différence de la noblesse, fondait sa puissance sur une économie capitaliste. Puis d'autres historiens, prenant la relève, bouleversèrent de fond en comble les idées que l'on avait des événements survenus en France peu avant 1789. Ainsi certains n'hésitèrent pas à affirmer que l'Ancien Régime avait été mis à bas par une paysannerie différant l'avènement d'une économie capitaliste au lieu de la promouvoir ; d'autres, que l'esprit des Lumières était plus répandu au sein de la noblesse que chez les bourgeois. Le « mythe de la Révolution française » qu'avaient forgé les historiens français n'allait pas survivre à ces attaques. Restait à faire le bilan de ce combat historiographique. C'est à quoi se consacre William DOYLE dans la première partie de ce livre revigorant (voir  sommaire). Il peut ensuite, dans une seconde partie, avancer une interprétation de la genèse révolutionnaire où l'on comprend que la Révolution n'a pas été faite par des révolutionnaires, mais que, au contraire, c'est elle qui les fit tels.
 
       Les spécialistes français distinguaient entre 1787 et 1789 plusieurs mouvements révolutionnaires. Ce fut d'abord l'aristocratie qui, pour récupérer la prépondérance dont Louis XIV l'avait privée, ébranla l'Ancien Régime en faisant barrage à toute réforme proposée par le gouvernement pour éviter la banqueroute financière qui menaçait l'État. Puis ce furent les bourgeois qui, s'inspirant du succès de l'entreprise aristocratique, réclamèrent à leur tour une plus juste répartition des pouvoirs. Ainsi lorsqu'en septembre 1788, le parlement de Paris, fer de lance de la réaction aristocratique, déclara que les états généraux, dont le gouvernement avait promis la convocation pour 1789, seraient constitués de la même façon qu'en 1614 (date de leur dernière réunion), c'est-à-dire d'une façon qui garantissait la prépondérance de la noblesse, la bourgeoisie exigea et obtint du gouvernement qu'il accrût le nombre de ses représentants. Issue des Lumières, cette aspiration à plus d'égalité civile aboutit, en juin 1789, à la création de l'Assemblée nationale. Puis quand le Roi tenta de dissoudre cette dernière en juillet, les bourgeois, voulant sauvegarder leurs acquis, en appelèrent au soulèvement de la population parisienne ; le haut fait de cet épisode fut la prise de la Bastille. Cette mobilisation du peuple, en proie à une misère croissante, ne faisait que répondre à l'espoir qu'avait suscité l'idée d'un ordre nouveau. Enfin, craignant que les récoltes ne soient saccagées par une réaction aristocratique, le monde paysan se souleva contre les seigneurs et entreprit de détruire les archives où étaient consignés les droits féodaux. Cette révolte ne s'apaisa que par l'abolition, dans la nuit du 4 août 1789, du régime féodal. C'était la fin de l'Ancien Régime.
       Les premières attaques contre ce « mythe de la Révolution française » vinrent, comme nous l'avons dit, d'historiens anglophones. D'abord fut remise en cause l'idée que la Révolution correspondait à la substitution d'un régime bourgeois capitaliste à un régime féodal. Il apparut en effet indu d'appeler féodal le système de droits et de devoirs aboli durant la nuit du 4 août 1789 puisque de nombreux bourgeois de l'Assemblée nationale possédaient eux aussi de tels privilèges et répugnaient à y renoncer. Si l'on persistait à voir dans le système de droits seigneuriaux de l'époque un système féodal, il fallait de toute façon reconnaître que c'étaient les paysans et non la bourgeoisie qui s'y étaient opposés et qui avaient contraint les seconds à l'abolir. Il y avait aussi quelque légèreté à considérer que la bourgeoisie des états généraux était la représentante du capitalisme, c'est-à-dire d'une richesse mobilière, industrielle et commerciale. Deux tiers des bourgeois élus aux états généraux de 1789 étaient en effet des hommes de loi, et près de cinquante pour cent étaient des détenteurs de petits offices et des fonctionnaires du gouvernement. On fit même remarquer que les bourgeois adeptes du capitalisme ne s'étaient guère intéressés à la politique, tant avant que pendant la Révolution, sinon pour y chercher un éventuel moyen de protéger leurs propres privilèges commerciaux et industriels. Et entre ces bourgeois et ceux qui étaient propriétaires terriens, rentiers ou fonctionnaires, il y avait de fortes dissensions. L'image d'une bourgeoisie unie contre l'Ancien Régime est donc difficile à accepter.
       Tout aussi difficile à conserver était l'image d'une noblesse dépassée par le développement d'une économie capitaliste. On montra en effet dans un premier temps que les aristocrates savaient en effet tout aussi bien gérer leurs biens que les bourgeois et qu'eux aussi jouaient un rôle important dans les activités capitalistes. Quant aux privilèges fiscaux de l'aristocratie, ils n'étaient pas aussi importants qu'on l'avait prétendu. En revanche, les exemptions dont jouissait la bourgeoisie commerçante des grandes villes marchandes étaient conséquentes. De toute façon, on mit ensuite en évidence que la richesse de tous les groupes sociaux dans la France prérévolutionnaire était principalement de nature non capitaliste : c'était davantage une richesse de propriétaires qu'une richesse de commerciaux et d'industriels. Il fallait en conclure que le capitalisme n'était devenu le mode de production dominant de l'économie française qu'après 1789, et que nobles et bourgeois, loin d'être deux classes antagonistes, se ressemblaient par la source de richesse commune : la propriété immobilière. Cette difficulté à établir un contraste flagrant entre la noblesse et la bourgeoisie était aussi accentuée par l'absence de rigidité de la structure sociale prérévolutionnaire : l'aristocratie n'était pas une caste fermée. On estime ainsi qu'au moins un quart de toutes les familles nobles de 1789 avaient été anoblies depuis le début du XVIIIe siècle. Et tout semble indiquer qu'on était, à la veille de la Révolution, non en présence d'une bourgeoisie hostile à la noblesse mais de bourgeois qui aspiraient à devenir nobles.
       Considérer que la Révolution avait été causée par le développement de la bourgeoisie permettait aussi de penser que son accession au pouvoir avait accéléré une modification profonde de la structure économique du pays. La Révolution s'était produite à la suite de mauvaises récoltes au cours des années précédant 1789, ce qui avait entraîné une grave crise économique (forte augmentation du prix du pain, diminution des salaires, chômage massif...). Crise qui reflétait aux yeux de beaucoup d'historiens l'archaïsme du système agricole français. Il était donc tentant de voir la Révolution comme le moment où la France avait, tant sur le plan économique que sur le plan social, changé de cap pour se diriger vers le monde moderne ; on parlait alors d'événement unique et sans précédent. Or, à partir de 1960, l'analyse et la comparaison de la production agricole entre le dix-huitième et les premières décennies du dix-neuvième siècle infirma ces idées. Certains historiens défendirent ainsi la thèse que le XVIIIe siècle n'avait pas vu de changement structurel important et que ce n'était qu'avec l'avènement du chemin de fer au dix-neuvième siècle que la modernisation de l'agriculture avait commencé. Si la Révolution s'était produite lors d'une crise économique celle-ci fut donc loin d'avoir été l'écroulement final d'une structure économique : c'était tout simplement le résultat d'une série d'accidents météorologiques. En tout cas, la colère du peuple au cours de l'été de 1789 ne témoignait pas d'une volonté de soumettre l'économie aux lois du marché. En manifestant de nouveau comme il l'avait fait de façon récurrente au cours du siècle contre la hausse des prix, il soulignait au contraire son attachement au contrôle étatique de l'économie. Les événements de 1789 ne marquaient donc ni la fin d'un régime économique ni la volonté de se tourner vers une économie capitaliste. Ce n'était que la dernière grande crise d'un type d'économie qui allait se modifier silencieusement au cours du siècle suivant.
       L'attaque contre le « mythe de la Révolution » ne concerna pas uniquement les aspects socio-économiques, mais se concentra aussi sur la vision de la situation idéologique et politique d'avant 1789. Certes, la recherche de causes économiques de la Révolution, pendant la première moitié du XXe siècle, avait succédé à l'analyse purement politique des historiens du XIXe siècle. Les historiens français des années cinquante n'attachaient en effet pas une grande importance aux facteurs autres que socio-économiques. Ils ne s'appuyaient pas moins sur une vision des enjeux idéologiques et politiques qui allait elle aussi être révisée à partir de 1960.
       Commençons par le rôle des Lumières. Le dix-huitième siècle avait vu se développer toute une critique de la religion et des institutions où plus rien n'était sacré et où tout était sujet à discussion. On considérait que ce mouvement de contestation de l'ordre établi avait débuté dans les milieux instruits mais qu'il s'était ensuite largement propagé aux couches inférieures de la société. Il y aurait eu ainsi à la veille de la Révolution tout un courant d'opinions profondément insatisfait de la plupart des aspects de l'Ancien Régime et prompt à réclamer des réformes radicales. On admettait aussi que l'idéologie des Lumières représentait l'idéologie bourgeoise. Les notions d'utilité, de raison, d'individualisme et de mérite n'étaient-elles pas le produit d'une mentalité bourgeoise ? Il fallait donc se rendre à l'évidence qu'en prétendant agir pour le bien de l'humanité, les philosophes ne défendaient en réalité que les privilèges d'une classe. Certes, les Lumières n'avaient pas provoqué la Révolution, mais on disait qu'elles étaient la référence de ceux qui l'avaient déclenchée, en l'occurrence, des bourgeois. Or, outre que la diffusion des Lumières semble avoir été très faible en dehors des élites, une analyse précise des cahiers de doléances permit de mettre à mal cette interprétation. On montra en effet que les cahiers du tiers état reflétaient un profond conservatisme et que, paradoxalement, c'étaient les cahiers de la noblesse qui étaient tout imprégnés des Lumières par leur massive adhésion à l'idéologie du mérite. Aussi fallait-il reconnaître que beaucoup d'aristocrates n'étaient pas les défenseurs inconditionnels de l'Ancien Régime, et que les acteurs de la Révolution ne s'étaient inspirés des idées des Lumières qu'une fois la Révolution commencée.
       Quant à l'aspect purement politique, la thèse largement admise était que la monarchie avait voulu introduire des réformes qui auraient pu éventuellement désarmorcer le déclenchement de la Révolution mais qu'elle avait été mise en échec par une noblesse jalouse de ses prérogatives, et particulièrement la noblesse de robe qui siégeait dans les parlements. Après les années 1960, ce point de vue fut lui aussi contesté. Les parlements n'apparurent plus comme uniquement constitués d'une oligarchie égoïste et réactionnaire. On montra en effet qu'ils n'avaient pas empêché le gouvernement d'entreprendre des réformes quand celui-ci en avait eu la ferme volonté. Il faut en conclure que l'Ancien Régime ne fut pas renversé par l'opposition de la noblesse, mais qu'il s'écroula de lui-même en raison de l'incapacité des gouvernements successifs à mettre en place une politique cohérente de réformes pour résoudre la crise financière.
 
       Toute l'approche des origines de la Révolution a donc été profondément modifiée au cours de ces dernières décennies. En retraçant ce combat historiographique dans la première partie de ce livre de référence, William Doyle nous apprend ainsi à nous méfier des visions trop simplistes de l'histoire. Resterait à rendre compte de la seconde partie du livre où, en analysant les différentes composantes de la société et les moments clefs qui ont précédé la Révolution, William Doyle montre que cette Révolution n'était envisagée par personne et qu'elle surprit ceux qui la firent. Si la monarchie s'effondra au mois d'août 1788, elle ne fut renversée ni par l'opposition des parlements à sa politique, ni par des révolutionnaires, lesquels n'existaient pas encore. Elle tomba en raison de ses propres contradictions internes, incapable qu'elle était de résoudre la crise financière qui la conduisait à la banqueroute. Ce fut ensuite pendant la préparation des états généraux et les premières réunions des élus que l'esprit de réforme se radicalisa : de petites oppositions s'exacerbèrent, la discussion se bloqua ; il fallait sortir de la crise ; des options radicales l'emportèrent. Puis la colère récurrente du peuple des villes et des paysans se fit entendre. La nouvelle Assemblée fut alors contrainte de prendre des mesures auxquelles elle n'avait pas songé. Venus pour réformer la société, les élus des états généraux firent la Révolution...

Thomas LEPELTIER,
le 20 mai 1999.
 
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Sommaire

Préface 
Note à la deuxième édition 
Introduction 
Première partie 
UN CONSENSUS ET SON EFFONDREMENT : les écrits sur les origines de la Révolution depuis 1939 
Deuxième partie 
L'EFFONDREMENT DE L'ANCIEN RÉGIME 
       La crise financière 
       Le système de gouvernement 
       L'opposition 
       L'opinion publique 
       La réforme et son échec 1787-1788 
LA LUTTE POUR LE POUVOIR 
       La noblesse 
       La bourgeoisie 
       La campagne électorale, sep. 1788 à mai 1789 
       La crise économique 
       Les états généraux, mai et juin 1789 
       Le peuple de Paris 
       La paysannerie 
CONCLUSION : Le nouveau régime et ses principes 
Notes bibliographiques 
Index des auteurs cités 
Index général 

320 pages
ISBN 2-7021-1746-5
130 FF (1999)