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NOUVEAU VISAGE DE THUCYDIDE
:
LES ERREURS DE L'HISTORIOGRAPHIE
à propos de :
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Le mystère Thucydide.
Enquête à partir d'Aristote.
de Luciano CANFORA
Éditions Desjonquères (Le bons sens),
1997.
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Thucydide est le grand historien du conflit entre Athènes et Sparte
(431-404 avant J.-C.). On raconte à son sujet, entre autres choses,
qu'il lutta du côté des Athéniens mais que, jugé
responsable par ces derniers de la défection d'une cité,
il fut condamné à un exil de vingt ans (423-404). Or, aux
yeux de Luciano CANFORA, cet élément biographique est faux.
En s'appuyant sur les textes d'Aristote, il suggère que Thucydide
serait resté à Athènes jusqu'en 411, pour se retirer
ensuite en Thrace (Grèce du Nord).
On pourrait ne voir
là qu'une simple erreur d'historien, sans importance ;
après tout, la vie de Thucydide est moins importante que les événements
qu'il raconte. Sauf que la persistance de cette erreur est significative,
aux yeux de Luciano Canfora, du comportement des historiens. Plutôt
que de corriger des contradictions qui apparaissent dans les sources, ils
ont échafaudé hypothèse sur hypothèse pour
finalement inventer une fausse biographie. Aussi l'intérêt
du livre n'est-il pas uniquement de nous restituer des éléments
de la biographie de Thucydide, il nous invite aussi "à méditer
sur la part d'arbitraire dans l'élaboration de tout savoir".
Tout commence par
une modification dans la technique de retranscription des manuscrits, survenue
dans l'Alexandrie hellénistique. L'oeuvre de Thucydide, inachevée,
avait été complétée par Xénophon. Or,
à Alexandrie, suite à une innovation, les rouleaux sur lesquels
les copistes transcrivaient les oeuvres devinrent trois fois plus longs.
Ainsi, dans le cas de Thucydide, un rouleau (un livre) qui représentait
une année de guerre en représenta dorénavant trois.
Cette modification entraîna une confusion partielle des manuscrits
de Thucydide et de Xénophon. Il en résulta qu'on attribua
l'exil de Xénophon, qu'il mentionne dans son texte, à Thucydide.
Cette confusion
engendra un certain nombre de contradictions. Citons-en quelques-unes.
Thucydide était censé être exilé dans une cité
de Thrace ; il fallait donc que cette dernière n'appartienne
pas au territoire de la cité qui l'avait exilé, c'est-à-dire
au territoire d'Athènes. Or, un autre document suggère que
cette cité appartenait justement au territoire d'Athènes.
Les historiens, fidèles à l'idée de l'exil, choisirent
donc de ne pas mentionner ce document. Une autre source mentionne qu'après
la débâcle de Sicile -- c'est-à-dire en 413 --, les
Athéniens avaient rappelé les exilés. Thucydide, exilé
en 423, aurait dû rentrer, plutôt que de rester vingt ans en
exil. Pourquoi donc n'est-il pas rentré ? Pour résoudre
la difficulté, on mit en doute la référence à
la Sicile qui permettait de dater l'événement. Quand Thucydide
relate la défense d'Antiphon lors de son procès qui s'est
déroulé en 411 à Athènes, après l'échec
de la dictature des Quatre-Cents, il mentionne sa présence dans
la cité. Les historiens s'obstinèrent à préférer
la thèse de l'exil et supprimèrent cette mention.
Ce ne sont pas là
les seules "corrections" qu'apportèrent les historiens aux sources
pour faire de Thucydide un exilé. Luciano Canfora, en nous replongeant
dans l'histoire du conflit entre Athènes et Sparte, en dresse la
liste dans ce petit livre très stimulant. En véritable enquêteur,
il nous montre ainsi qu'il est beaucoup plus raisonnable de prendre en
compte la confusion des manuscrits que de persévérer dans
l'idée de l'exil. Notre approche du récit du conflit s'en
trouve modifiée. Mais, surtout, Luciano Canfora nous rappelle ainsi,
sur un exemple précis, qu'en matière d'historiographie, il
ne faut pas s'accrocher à des idées et oublier la prudence
qui doit présider à toute reconstitution du passé...
Thomas LEPELTIER,
le 9 août 1998.
Renseignements divers sur le livre :
96 pages
ISBN 2-84321-007-0
85 FF (1998)