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de
Thomas Lepeltier

  NOUVEAU  VISAGE  DE  THUCYDIDE :
LES  ERREURS  DE  L'HISTORIOGRAPHIE
 
 
à propos de :
Le mystère Thucydide.
Enquête à partir d'Aristote.
 
de Luciano CANFORA
 
Éditions Desjonquères (Le bons sens), 1997.


           Thucydide est le grand historien du conflit entre Athènes et Sparte (431-404 avant J.-C.). On raconte à son sujet, entre autres choses, qu'il lutta du côté des Athéniens mais que, jugé responsable par ces derniers de la défection d'une cité, il fut condamné à un exil de vingt ans (423-404). Or, aux yeux de Luciano CANFORA, cet élément biographique est faux. En s'appuyant sur les textes d'Aristote, il suggère que Thucydide serait resté à Athènes jusqu'en 411, pour se retirer ensuite en Thrace (Grèce du Nord).
       On pourrait ne voir là qu'une simple erreur d'historien, sans importance ; après tout, la vie de Thucydide est moins importante que les événements qu'il raconte. Sauf que la persistance de cette erreur est significative, aux yeux de Luciano Canfora, du comportement des historiens. Plutôt que de corriger des contradictions qui apparaissent dans les sources, ils ont échafaudé hypothèse sur hypothèse pour finalement inventer une fausse biographie. Aussi l'intérêt du livre n'est-il pas uniquement de nous restituer des éléments de la biographie de Thucydide, il nous invite aussi "à méditer sur la part d'arbitraire dans l'élaboration de tout savoir".
 
       Tout commence par une modification dans la technique de retranscription des manuscrits, survenue dans l'Alexandrie hellénistique. L'oeuvre de Thucydide, inachevée, avait été complétée par Xénophon. Or, à Alexandrie, suite à une innovation, les rouleaux sur lesquels les copistes transcrivaient les oeuvres devinrent trois fois plus longs. Ainsi, dans le cas de Thucydide, un rouleau (un livre) qui représentait une année de guerre en représenta dorénavant trois. Cette modification entraîna une confusion partielle des manuscrits de Thucydide et de Xénophon. Il en résulta qu'on attribua l'exil de Xénophon, qu'il mentionne dans son texte, à Thucydide.
       Cette confusion engendra un certain nombre de contradictions. Citons-en quelques-unes. Thucydide était censé être exilé dans une cité de Thrace ; il fallait donc que cette dernière n'appartienne pas au territoire de la cité qui l'avait exilé, c'est-à-dire au territoire d'Athènes. Or, un autre document suggère que cette cité appartenait justement au territoire d'Athènes. Les historiens, fidèles à l'idée de l'exil, choisirent donc de ne pas mentionner ce document. Une autre source mentionne qu'après la débâcle de Sicile -- c'est-à-dire en 413 --, les Athéniens avaient rappelé les exilés. Thucydide, exilé en 423, aurait dû rentrer, plutôt que de rester vingt ans en exil. Pourquoi donc n'est-il pas rentré ? Pour résoudre la difficulté, on mit en doute la référence à la Sicile qui permettait de dater l'événement. Quand Thucydide relate la défense d'Antiphon lors de son procès qui s'est déroulé en 411 à Athènes, après l'échec de la dictature des Quatre-Cents, il mentionne sa présence dans la cité. Les historiens s'obstinèrent à préférer la thèse de l'exil et supprimèrent cette mention.
 
       Ce ne sont pas là les seules "corrections" qu'apportèrent les historiens aux sources pour faire de Thucydide un exilé. Luciano Canfora, en nous replongeant dans l'histoire du conflit entre Athènes et Sparte, en dresse la liste dans ce petit livre très stimulant. En véritable enquêteur, il nous montre ainsi qu'il est beaucoup plus raisonnable de prendre en compte la confusion des manuscrits que de persévérer dans l'idée de l'exil. Notre approche du récit du conflit s'en trouve modifiée. Mais, surtout, Luciano Canfora nous rappelle ainsi, sur un exemple précis, qu'en matière d'historiographie, il ne faut pas s'accrocher à des idées et oublier la prudence qui doit présider à toute reconstitution du passé...

Thomas LEPELTIER,
le 9 août 1998.
 
Renseignements divers sur le livre :
       96 pages
       ISBN 2-84321-007-0
       85 FF (1998)