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ET SI LA NATURE SE
RÉPÉTAIT
À L'INFINI...
à propos de :
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L'Éternité par les astres.
de Louis-Auguste BLANQUI
Préface de Lisa Block de Behar
Éditions Slatkine (Fleuron), 1996.
Édition originale : 1872.
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On dit que la nature
ne se répète jamais et qu'il n'existe pas deux hommes identiques.
Le problème est que le nombre de constituants élémentaires
de la matière -- les différents types de « briques » formant
la matière -- est limité. Il est, par conséquent,
difficile d'obtenir à partir de ces derniers un grand nombre d'objets
tous différents les uns des autres. Cela serait bien sûr possible
si les objets de la nature n'existaient qu'en nombre fini. Mais si leur
nombre est illimité, la répétition devient nécessaire.
C'est pourquoi en acceptant l'idée que l'univers est infini on est
conduit à penser que chaque objet, du grain de sable à l'étoile,
chaque être vivant, de la cellule à l'homme, se répète
plusieurs fois dans la nature. Pour Louis-Auguste BLANQUI (1805-1881),
tous les objets se répètent même une infinité
de fois. Cette répétition n'ayant aucune raison de ne pas
se reproduire au cours du temps, il alla même jusqu'à conclure
que tous les êtres ont une infinité de doubles d'eux-mêmes
qui se forment à tout instant ; c'était ainsi affirmer leur
éternité. Pour ajouter au pittoresque, rappelons que c'est
en prison, où il passa en tout plus de trente ans, que le célèbre
révolutionnaire coucha sur le papier ces méditations étonnantes
sur la vie et l'univers. Il en est résulté un petit livre
savoureux, pas aussi absurde et dépassé qu'il ne le paraît
au premier abord...
Reprenons le raisonnement
de l'insurgé. L'univers est infini. La matière n'étant
pas sortie du néant, sa quantité ne peut ni s'accroître,
ni diminuer. Pas de raison non plus qu'elle ne soit confinée dans
une portion de l'espace. L'analyse spectrale -- l'analyse qui détermine
la nature des corps -- montre l'identité de composition de cet univers :
dans les plus lointaines galaxies on retrouve les mêmes éléments
que sur notre globe. Les corps simples, ou éléments chimiques
(hydrogène, oxygène...), sont en nombre fini. Tous les objets
de la nature (de la goutte d'eau aux étoiles, en passant par les
êtres vivants) sont bien sûr composés à partir
de ces corps simples. Ces objets sont en nombre infini, puisqu'ils sont
répartis de façon homogène sur un espace illimité.
Cela est donc vrai aussi pour chaque corps simple : l'élément
hydrogène existe en une infinité d'exemplaires, de même
pour l'élément oxygène et ainsi de suite. Mais attention !
Qu'il y ait un nombre infini d'éléments hydrogène,
ou autres, ne contredit en rien ce qui a été dit plus haut :
le nombre d'éléments chimiques différents est bien
fini. Disons pour la suite du raisonnement qu'il y a un élément
hydrogène original -- n'importe quel élément hydrogène
pouvant jouer ce rôle -- et une infinité de copies ; de même
pour les autres éléments. Ce qui est fini, c'est donc le
nombre d'originaux, non le nombre de copies.
On peut maintenant
aborder de nouveau le coeur du problème : comment engendrer tous
les objets de l'univers à partir d'un nombre fini d'éléments
chimiques ? Pour mieux comprendre la réponse, imaginez qu'il n'y
ait que trois éléments chimiques originaux, dénommés
A, B et C. Ces éléments et leurs copies -- désignées
par les mêmes lettres -- doivent se combiner pour former les corps
de l'univers. Imaginez ensuite que quatre d'entre eux forment un corps :
par exemple, ABCC. Qu'est-ce qui empêcherait que ce corps se reforme
ailleurs ? Il y a une infinité de A, de B et de C, avons-nous dit.
Alors, on aura bien au moins une fois un A qui va se combiner avec un B
et avec deux C. Cela se passera même deux fois, trois, quatre...
une infinité de fois en réalité. Et le même
raisonnement s'applique si on ne prend plus trois éléments
chimiques mais leur nombre réel. La différence est négligeable
au regard de l'infini. Tout nombre, aussi grand soit-il, est en effet toujours
très petit comparé à l'infini.
Vous pourriez objecter
que certains corps ont une probabilité très faible de formation
et qu'ils ont peu de chance pour cette raison de se répéter.
Ce serait oublier qu'au loto, où la probabilité d'avoir tous
les bons numéros est très faible, vous seriez sûr de
gagner si vous jouiez un nombre de fois suffisant. Vous joueriez un nombre
infini de fois, que vous gagneriez une infinité de fois. C'est la
même chose pour l'univers. À la différence que dans
ce cas toutes les combinaisons se produisent effectivement un nombre infini
de fois. Il en résulte qu'un corps, aussi faible que soit sa probabilité
de formation, est généré une infinité de fois.
La seule possibilité pour qu'une combinaison ne puisse se répéter
serait qu'elle ait une probabilité nulle -- mais dans ce cas là,
il n'en existerait aucun exemplaire dans tout l'univers. En revanche, si
une combinaison existe quelque part, elle existera nécessairement
une infinité de fois ailleurs.
Quant à vous-même,
étant donné que vous êtes aussi une combinaison de
corps simples, il n'y a pas de raison qu'on ne vous retrouve pas un nombre
infini de fois dans notre vaste univers. Cela est vrai aussi pour tous
les autres habitants de la Terre. Le même raisonnement pouvant même
être appliqué à cette dernière, on arrive donc
à l'étonnant résultat qu'il doit exister une infinité
de Terres identiques à la nôtre. Cela dément donc l'idée
qu'il n'existe pas deux hommes identiques. Cette idée est bien entendu
valable, même fort probable, si on se limite à notre Terre.
Le nombre d'êtres humains est en effet très petit devant le
nombre de combinaisons que l'on peut effectuer avec tous les corps simples
qui les composent. Mais ce nombre de combinaisons, aussi grand soit-il,
demeure fini. Il n'y a donc aucune raison pour que les combinaisons ne
se retrouvent pas un nombre infini de fois dans l'univers. Si vous n'avez
pas de doubles sur notre globe, sachez donc qu'il y a une infinité
d'autres planètes qui peuvent les accueillir.
Outre ce nombre
infini de combinaisons identiques qui apparaissent au même moment,
il faut aussi reconnaître que ces mêmes combinaisons peuvent
apparaître avec une seconde, deux secondes, trois secondes d'écart...
et ainsi de suite. C'est qu'à tout instant, un nombre infini de
combinaisons se produisant dans l'immensité de l'univers, chacune
d'entre elles voit des doubles d'elle-même se constituer. Nous existons
ainsi en une infinité d'exemplaires à la fois dispersés
dans l'univers et échelonnés dans le temps. Chaque exemplaire
naît, vit et meurt, mais il en naît, il en meurt une infinité
d'autres à chaque seconde qui s'écoule. C'est pourquoi, si
chaque homme possède un nombre sans fin de doubles qui vivent sa
vie, absolument telle qu'il la vit lui-même, non seulement de son
âge actuel, mais de tous ses âges, il faut en conclure qu'il
est « éternel dans la personne d'autres lui-même ».
Il y a de quoi rester
perplexe devant une idée aussi hallucinante. Il ne faudrait pas
pour autant se laisser aller à une dérision de bon ton. Dans
ce livre plein de charme et au style alerte, mais dont nous n'avons fait
que rapporter l'idée de base, Louis-Auguste Blanqui a le mérite
de pousser jusqu'à leurs conséquences ultimes un certain
nombre d'idées sur la matière et l'univers. Et notamment,
l'idée, encore très présente de nos jours, que tout
objet se réduit à une combinaison finie de constituants identiques.
Aussi ne peut-on honnêtement refuser cette idée d'éternité,
sans avoir au préalable décelé l'erreur du raisonnement.
Provient-elle des prémices ou réside-t-elle dans l'enchaînement
des arguments ? Vient-elle d'une mauvaise conception de la notion d'identité
ou d'une mauvaise conception de la notion de constituant élémentaire
de la matière ? À vous de répondre à ces questions
que la lecture de ce petit livre étonnant ne peut manquer d'éveiller
en votre esprit. À moins que, tout simplement, vous ne préfériez
l'idée de l'éternité...
Thomas LEPELTIER,
le 22 novembre 1998.
Renseignements divers sur le livre :
Chronologie de la vie de Louis-Auguste
Blanqui
160 pages
ISBN 2-05-101464-7
36 FF (1996)